J’ai souvent entendu parler de l’administration publique de façon péjorative. L’évocation de sa lenteur, l’absurdité de ses règles, l’opacité de son fonctionnement, l’inertie de ses agents… Pourtant à la maison, je voyais mon père, fonctionnaire, attaché à sa mission de comptable au sein des Instituts Français, s’investir corps et âme pour cette administration si décriée.
C’est certainement parce que durant ma plus tendre enfance mon histoire a côtoyée les idéaux de solidarité et de préservation du bien public que j’ai récemment ressenti la nécessité de me plonger dans les arcanes d’une administration publique pour en sonder plus intimement le bien fondé, l’éthique et les paradoxes qui en ressortent en ce début de XXIème siècle.
Mon désir d’immersion s’est orienté vers une administration qui porte en elle une dimension positive, vitale j’oserai dire : le siège social de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Ille-et-Vilaine.
L’utopie de la performance
Mes premiers repérages ont confirmé mes attentes. le service du courrier de la CPAM, avec ses cinq mille lettres par jour à trier, scanner, répertorier ; l’accueil du public où règne une file d’attente toujours trop longue, une population souvent démunie, étrangère ou âgée. Mes clichés sont là.
Puis je découvre ce qui m’est inconnu : l’importance du développement numérique au sein de cette administration mais aussi une exigence de performance particulièrement présente.
Cette émergence de l’utopie de la performance au sein de l’Administration, le management et les outils numériques, font pour moi l’effet d’un déclencheur. Rendre compte de cette pensée et de ses implications, dans une administration telle que la CPAM, me permet d’éclairer ce qui paraît « normal » dans des contextes entrepreneuriaux.
Aujourd’hui ces méthodes de gestion font l’unanimité au sein des organisations qui régissent notre faire-ensemble, notre vivre-ensemble, malgré le fait que de récentes études mettent en doute leur efficacité en dehors des entreprises. Les processus d’évaluation s’étendent à tous les domaines jusqu’à entrer dans notre sphère privée. Il suffit de regarder comment les entreprises de covoiturage ou de vente en ligne réussissent à nous conditionner à évaluer et noter le conducteur ou le vendeur.
Et c’est parce que la CPAM gère notre accès à la santé que les enjeux de ces méthodes de management deviennent particulièrement sensibles. Ce que l’on gère dans cette administration, ce n’est pas la production d’un bien ou d’un service commercial, c’est le risque que l’homme a de défaillir.
Avec ce film, je veux faire entendre les travailleurs qui agissent et réagissent à cette rationalisation portée par le numérique et qui appelle toujours plus de numérique. Je cherche à comprendre ce qu’apportent de telles évolutions pour mieux appréhender ce qui nous sera donné à vivre demain.
Le numérique semble devenir un impératif, indispensable à la sauvegarde de l’Assurance Maladie : Big Data, Parcours Numérique de Santé, Langage Naturel… Peu à peu, l’homme délègue ses tâches aux machines. Voilà ce qui m’intéresse plus que tout : la présence de ce désir du numérique. Un désir puissant, vivant et surtout en phase d’accomplissement.
Le virage numérique et son point de non-retour, l’idéologie du tout-management et le paradigme de la performance sont au cœur de la CPAM. Ils sont le cœur de mon film.